L’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers en cas d’achat en indivision

Quoi de plus banal que l’acquisition d’un bien immobilier réalisée en indivision soit qu’il s’agisse d’un achat immobilier réalisé par des époux mariés sous un régime séparatiste ou bien encore d’un achat réalisé par un couple de concubins liés ou non par un pacte civil de solidarité, etc.

Des interrogations vont cependant surgir lorsque l’acquisition du bien indivis est financée au moyen d’un emprunt bancaire consenti à l’un seulement des acquéreurs en garantie duquel l’établissement financier demande le bénéfice de sûretés réelles et notamment sur l’assiette de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers. Se pose alors la question de l’assiette de la sûreté : l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers grève-t-elle la quote-part indivise acquise par l’indivisaire-emprunteur ou grève-t-elle la totalité du bien ?


Pour rappel, l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers (anciennement le privilège de prêteur de deniers) constitue l’hypothèque pouvant être prise à hauteur du prix de vente payé et qui bénéficie contrairement à sa sœur, l’hypothèque conventionnelle, d’une exonération de la taxe de publicité foncière.

Elle n’est assujettie qu’à la contribution de sécurité immobilière de 0,05 % assise sur le montant du prêt et ses accessoires. Elle bénéficie ainsi d’un régime fiscal de faveur dû à son statut de sûreté légale. En effet si les conditions de l’article 2472 du Code civil sont réunies, l’hypothèque légale naît du fait de la loi, contrairement à l’hypothèque conventionnelle qui trouve son origine dans l’accord des parties.

Quatre conditions sont requises pour la validité de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers :

  • l’acte de prêt doit être notarié,
  • cet acte doit contenir une promesse d’emploi, c’est-à-dire que l’emprunteur doit promettre d’employer les fonds prêtés au paiement du prix de l’acquisition de l’immeuble,
  • la quittance du vendeur doit également être donnée par acte authentique,
  • et enfin une déclaration d’origine des deniers doit constater dans cette quittance que le paiement du prix a été fait au moyen des deniers empruntés.

Pour savoir maintenant quelle sera l’assiette de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers, il convient de déterminer l’objet de l’acquisition. Lors de l’acquisition par une indivision quelle qu’elle soit, l’objet de la vente consiste en un immeuble entier. Le vendeur ne vend pas des quotes-parts de droit indivis mais bien la pleine propriété d’un immeuble. Dès lors, il importe peu que la vente soit conclue avec plusieurs acquéreurs : l’indivision n’est qu’une conséquence de l’acquisition par plusieurs personnes, un mode de gestion.

Par conséquent, et même si l’un seulement des acquéreurs recourt à un prêt, l’assiette de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers grèvera l’entier immeuble, c’est-à-dire la pleine propriété de l’immeuble, objet du contrat. La solution est logique : l’assiette de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers est déterminée par l’objet de l’acte d’acquisition, indépendamment des modalités de financement du prix d’acquisition. Il y a une décorrélation entre l’objet financé (prix correspondant à la quote-part indivise de l’un des acquéreurs) et l’objet de l’acquisition (l’entier bien). La pluralité d’acquéreur n’affecte pas l’unité du contrat de vente. Certes, le bien vendu sera soumis au statut de l’indivision mais il s’agit là d’une simple conséquence de la vente qui n’apparaîtra qu’après la naissance de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers (Ph. Théry, Du recours au privilège de prêteur de deniers en cas d’acquisition par deux personnes : Defrénois 1990, art. 34812, p. 844). Ainsi, il est inutile pour la banque de demander la garantie hypothécaire de l’autre acquéreur sur ses droits indivis.

A l’inverse, si l’objet de l’acquisition consistait en une quote-part de droits indivis dans un immeuble, alors l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers aurait pour assiette la seule quote-part de droits indivis acquise.

La Cour de Cassation a consacré cette solution avancée par la doctrine à deux reprises, et ce, sur le fondement de l’indivisibilité de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers : « Mais attendu que, même dans l’hypothèse où un prêt est souscrit par l’un seulement des acquéreurs d’un bien immobilier, pour financer sa part, l’assiette du privilège de prêteur de deniers est constituée par la totalité de l’immeuble … » (Cass civ. 1re, 9 janv. 2019, pourvoi n° 17-27.411 ; Cass. civ. 1re, 2 fév. 2022, pourvoi n° 20-11.793).

Dans la première affaire, la responsabilité du notaire a été retenue pour avoir inscrit le privilège de prêteur de deniers sur les droits indivis du seul acquéreur-emprunteur alors qu’il aurait dû être inscrit sur l’entier immeuble acquis, le notaire privant ainsi la banque de la possibilité de saisir le bien devenu indivis.

Il ne fait pas de doute que l’arrêt du 9 janvier 2019 revêt un caractère de principe : la formulation retenue est nette et la Cour de cassation a décidé de doter sa décision d’une large publicité en la publiant au bulletin civil ainsi qu’au bulletin d’information. La solution paraît donc définitivement acquise et la pratique notariale doit dorénavant la faire sienne. D’ailleurs, la réforme des sûretés remplaçant le privilège de prêteur de deniers par une hypothèque légale n’en a rien changé.

Dans cette décision, la Cour poursuivait en énonçant que « le prêteur titulaire d’une sûreté légale née antérieurement à l’indivision, peut se prévaloir des dispositions de l’article 815- 17, alinéa 1er, du code civil ». Cette position permet au créancier titulaire d’une sûreté ayant pour assiette le bien indivis dans sa totalité d’être assimilé à un créancier de l’indivision alors même que sa créance est née du chef d’un seul indivisaire. Cette qualité lui permet ainsi de saisir le bien indivis et d’être payé avant tout partage.

L’information revêt son importance et devra donc être portée à la connaissance de l’acquéreur non-emprunteur. Cette solution est particulièrement protectrice pour le créancier puisqu’elle lui confère un droit de suite et un droit de préférence sur l’entier bien alors même que son débiteur n’est que l’un des indivisaires. Le notaire se devra d’avertir l’acquéreur non-emprunteur des incidences de cette sûreté : en cas de défaillance de l’emprunteur dans son obligation de remboursement, la banque pourrait saisir le bien et venir se rembourser à l’aide du prix de vente du bien aux enchères, ou se payer sur le prix indivis en cas de vente, avant partage. Une mention devra être insérée dans l’acte pour avertir le co-acquéreur non emprunteur de la garantie profitant à la banque sur l’entier immeuble.

La formalisation hypothécaire de l’inscription sera ainsi déterminante des droits du créancier sur le bien financé.

Si l’on prend l’exemple suivant :

M. X et Mme Y, concubins, acquièrent pour moitié chacun, un bien pour un prix total de 200 000 €.
M. X a recours à un emprunt bancaire d’un montant de 100 000 € tandis que Mme Y dispose de fonds propres.

Le notaire prendra le soin de rédiger les bordereaux d’inscription qui seront publiés au service de la publicité foncière de la manière suivante :

  • cadre « propriétaire grevé » : insérer la comparution de M. X et de Mme Y (et non M. X seul) ;
  • cadre « immeuble grevé » : insérer la désignation de l’immeuble en son entier (et non la seule quote-part acquise par M. X).

Exemples de clause pour la vente

Prix

La vente est conclue moyennant le prix de DEUX CENT MILLE EUROS (200 000 €).

Le paiement de ce prix a lieu de la manière indiquée ci-après.

Prêt

L’Établissement bancaire ci-dessus dénommé et M. X sont liés par un contrat de prêt concerné par les dispositions des articles L. 313-1 et suivants du Code de la consommation résultant d’une offre en date du … reçue le … et acceptée le … dont les conditions sont énoncées en seconde partie de l’acte.

Promesse d’emploi

La somme de CENT MILLE EUROS (100 000 €) représentant le montant emprunté par M. X pour le paiement de sa quote-part du prix, a été reçue par ce dernier à l’instant même ainsi qu’il résulte de la comptabilité du notaire soussigné.

Conformément aux dispositions de l’article 2402, 2° du Code civil, M. X s’oblige à employer la présente somme au paiement du prix de la présente vente.

Paiement du prix

M. X et Mme Y ont payé le prix de vente au VENDEUR à l’instant même ainsi qu’il résulte de la comptabilité de l’office notarial en tête des présentes.

Le VENDEUR reconnaît ce paiement et en donne quittance à l’ACQUÉREUR.

Dont quittance

Déclaration d’origine des derniers

M. X déclare que la somme qu’il vient de payer lui provient d’un emprunt qui lui a été consenti au terme de ce même acte (ou : aux termes d’un acte dressé par Me…, notaire …).

Il fait cette déclaration pour constater l’origine des deniers conformément à l’engagement qu’il a pris envers le PRETEUR.

Mme Y déclare que la somme qu’elle vient de payer lui provient de fonds personnels.

Hypothèque légale spéciale du prêteur de derniers

Par suite de la promesse d’emploi, de l’origine des fonds ainsi que de la quittance figurant au présent acte authentique, le PRETEUR se trouve investi sur le BIEN de l’hypothèque légale prévue par les dispositions de l’article 2402 paragraphe 2 du Code civil, à concurrence de la somme égale à la partie du prix payée au moyen des fonds prêtés en principal, intérêts, frais, indemnités et accessoires.

Mme Y intervient aux présentes à l’effet de reconnaître que l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers qui est ainsi attribuée au créancier de M. X bénéficie d’une assiette indivisible (Cass. 1re civ., 9 janv. 2019, n° 17-27.411).

Elle reconnaît avoir été informée des conséquences attachées à cette indivisibilité quant à l’assiette :

  • l’établissement bancaire pourra saisir le bien en cas de défaut de paiement par Monsieur X ;
  • l’établissement bancaire pourra être payé sur le prix de vente indivis avant tout partage du prix ;
  • en cas de partage du bien, l’établissement bancaire pourra exercer son droit de préférence et son droit de suite quelles que soient les modalités d’attribution du bien.

L’hypothèque légale de prêteur de deniers bénéficiant au PRÊTEUR prendra rang au jour de son inscription.

Admettons dans un second temps, que l’emprunt consenti à M. X finance une partie des frais d’acquisition et soit d’un montant total de 110 000 €. Quel sera le montant de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers pouvant être prise au profit de la Banque ? 110 000 € ? La réponse se doit d’être négative, car bien que la garantie porte sur la totalité de l’immeuble, elle ne le sera qu’à hauteur de la part contributive de l’acquéreur-emprunteur dans la future indivision. L’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers bénéficiant à la banque sera également prise dans ce cas de figure sur la totalité de l’immeuble à hauteur de 100 000 €. Et pour les 10 000 € restant, la garantie ne pourra être qu’une hypothèque conventionnelle complémentaire. Il faudra cependant, pour pouvoir assoir cette hypothèque sur la totalité du bien, et non sur seulement la quote-part indivise acquise, recueillir l’accord de l’autre acquéreur en vertu de l’article 2412 du Code civil.

Dernière hypothèse, si l’on part cette fois du postulat que chacun des deux acquéreurs indivis de l’immeuble contracte un prêt pour financer l’acquisition de sa part théorique de droits dans l’indivision, c’est également l’entier immeuble qui sera l’objet de l’acquisition. Par conséquent chaque prêt pourra être garanti par une hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers dont l’assiette sera l’entier immeuble. La même prudence devra être observée pour la formalisation des garanties et la même information devra être fournie à chacun des acquéreurs-emprunteurs. Cette situation a toutefois une autre particularité qui est celle de mettre en concours à rang égal, deux créanciers. Encore faudra-t-il veiller pour ce faire à le mentionner dans l’acte et à publier les bordereaux d’inscription le même jour en vertu du nouvel article 2418 du Code civil.

Si nous reprenons notre exemple avec M. X et Mme Y et qu’ils aient tous les deux recours à des prêts séparés pour lesquels chaque établissement de crédit demande l’attribution de l’hypothèque légale spéciale de prêteur de deniers. Dans ce cas, le notaire déposera deux bordereaux collectifs, l’un pour le prêt de M. X, l’autre pour le prêt de Mme Y. Chaque bordereau sera rédigé de la manière suivante :

  • cadre « propriétaire grevé » : insérer la comparution de M. X et de Mme Y ;
  • cadre « immeuble grevé » : insérer la désignation de l’immeuble en son entier.

Vous souhaitez plus d’informations ?

Plus de posts

Pattern de l'identité visuelle du groupe Syage Notaires

Nos autres articles

Shopping Basket