Nous l’avons dit dans le dernier article paru, le compte courant d’associé peut être un outil intéressant, il n’en demeure pas moins qu’il doit être utilisé avec prudence dans certains cas.
Il arrive parfois qu’un associé ayant investi dans un bien immobilier par l’intermédiaire d’une société civile constituée pour l’évènement, ait besoin d’aider financièrement sa société qui n’a pas les ressources nécessaires pour procéder au remboursement de l’emprunt bancaire contracté par ladite société. Ce remboursement qui pourrait être considéré par l’associé comme une action sans risques, peut néanmoins avoir de grandes répercussions.
La valeur d’une société étant déterminée notamment par la comparaison entre l’actif et le passif de cette dernière, le remboursement du passif d’une société augmente automatiquement la valeur des titres sociaux et enrichit corrélativement le patrimoine des associés.
Par définition, une société civile est constituée par plusieurs associés. Ainsi, le remboursement du passif de la société par un seul associé pourrait être considéré par l’administration fiscale comme une donation au profit des autres sociétaires.
Dans l’hypothèse où la personne bienfaisante envers la société est un associé, il est difficile de prouver une quelconque donation, En effet, pour qualifier une donation, il faut nécessairement d’un côté une dépossession, de l’autre un enrichissement et enfin que ce transfert de propriété soit caractérisé par une intention libérale. Or, le financement d’un actif appartenant à une société par l’un de ses associés engendre automatiquement pour ce dernier une créance en compte courant d’associé. Cette créance est certes difficile à prouver lorsqu’aucune comptabilité sociale n’est tenue, mais n’est pas impossible[1]. Tant que cette créance existe ou est susceptible d’exister et n’a donc pas fait l’objet d’une renonciation, le dépouillement irrévocable ne peut être prouvé.
Or, la question est plus complexe lorsque la personne qui a déchargé la société d’un passif par le remboursement des dettes sociales n’est pas associé. Tel est notamment le cas d’un parent qui souhaite aider financièrement la société constituée par ses enfants.
Ici, la prise en compte d’un éventuel compte courant d’associé peut être définitivement écartée. Quid alors de la qualification de ce financement ?
La question est surtout de savoir si l’on doit considérer la société comme bénéficiaire d’une donation indirecte par le défunt, ce dernier voulant favoriser l’activité de l’entité sociale ou est-ce que cette société est uniquement une personne interposée, l’auteur de la gratification recherchant en définitive l’enrichissement des associés de la structure ? La question semble au premier abord anecdotique, mais aura des répercussions tant civiles que fiscales.
Comme évoqué, la jurisprudence a considéré et ce, à multiples reprises, qu’une donation indirecte pouvait être qualifiée comme étant faite directement au profit des associés malgré l’interposition d’une personne morale puisque le transfert de biens ou de droits sans contrepartie au bénéfice de la société augmente la valeur de l’actif social et conduit mécaniquement à l’accroissement de celle des titres sociaux, aboutissant donc à un enrichissement certain des associés.
Le dépouillement du donateur emporte donc par essence un enrichissement du groupement et corrélativement celui des associés.
Mais la doctrine est parfois plus nuancée quant à l’automaticité d’une telle qualification de donation indirecte au profit des associés de la société. L’on peut considérer qu’une telle qualification en donation indirecte au profit des associés ne va pas de soi et demande au préalable la preuve de trois conditions cumulatives dont le juge fait parfois abstraction :
- Un accord de volonté entre le donateur et les associés quant à la finalité de la libéralité : en d’autres termes il doit y avoir une certaine acceptation de la donation par le dirigeant ou l’associé à son propre profit et non au profit de la société, accord qui serait également conforme à l’intérêt social de la société. Un tel accord ayant pour seule ambition que libéralité profite exclusivement aux associés ne peut être considéré comme respectant l’intérêt social. Cette acceptation engendrerait donc quasi-automatiquement la production d’un acte/fait non conforme à l’intérêt social et donc la caractérisation d’une faute au regard du droit des sociétés. Or, en l’absence de faute, il est pour certains impossible qu’un acte soit à la fois passé dans l’intérêt de la société et qu’on puisse également qualifier cet acte de donation au seul profit de l’associé ou du dirigeant. En pareil cas, ce serait vider l’intérêt social de toute substance.
- La preuve d’une intention libérale au profit des associés/gérants : de la même manière, sans avoir pu prouver la première condition, il sera difficile de prouver une quelconque intention libérale du donateur non pas au profit de la société mais au profit des associés.
- La preuve d’un enrichissement des donataires-associés : enfin, une partie de la doctrine considère que l’enrichissement dont profiteraient les associés suite à la libéralité faite en présence d’une société interposée, résulterait non pas de leur qualité de donataires, mais de leur qualité d’associés. L’enrichissement trouverait son origine dans la propriété des titres (augmentation de la valeur de ces derniers, augmentation de la distribution des bénéfices ou diminution de la contribution aux pertes) et non pas dans l’acte prétendument support de la donation.
Si la donation indirecte au profit des associés ne peut selon ce raisonnement être qualifiée, reste possible la qualification d’une donation indirecte au profit de la société.
Comme évoqué brièvement supra, la qualification de cette donation indirecte, qu’elle soit au profit de l’associé, ou au profit de la société aura une répercussion dans son traitement civil et fiscal. Civilement, une donation indirecte suit en principe les mêmes règles qu’une donation simple, à savoir qu’elle doit réintégrer l’actif de succession du tiers charitable au travers de la réunion fictive des donations et doit également être imputée pour vérifier si elle ne porte pas atteinte à la réserve des héritiers réservataires. Dans le cas où elle est faite à l’héritier associé, cette donation sera considérée comme faite en avancement de part successorale et viendra donc s’imputer sur ses droits réservataires. Dans le cas où elle serait considérée comme consentie à la société, entité assimilée à un tiers d’un point de vue successoral, elle devrait s’imputer sur la quotité disponible et serait sujette à réduction. En d’autres termes, il serait plus avantageux civilement que cette donation soit qualifiée de donation indirecte au profit de sa société.
Fiscalement, c’est une tout autre histoire, puisque la société étant un tiers au défunt, une fiscalité sur les droits de mutation à hauteur de 60% serait due par le donataire, c’est-à-dire la société. La société étant civile, elle est par définition une société fiscalement transparente, ce sont donc les associés qui seraient imposables au prorata de leurs droits sociaux. L’associé serait donc débiteur d’une lourde fiscalité et ce à concurrence de ses droits dans la société.
Il conviendra donc de rester prudent dans ces situations :
- Lorsque l’on est associé, se garder au moins une part en pleine propriété et tenir une comptabilité afin d’acter au fur et à mesure les avances en compte courant d’associé.
- A l’inverse, lorsque l’on est considéré comme un tiers à la société, prévoir une reconnaissance de dette pour éviter toute requalification en donation ou bien, donner directement les sommes à l’associé au travers d’un don manuel ou d’un présent d’usage. L’associé restituera les fonds à la société augmentant d’autant son propre compte courant d’associé.
La question n’est pas si théorique, l’hypothèse concerne notamment les grands-parents prenant à leur charge tout ou partie du financement des mensualités de crédit de la société familiale constituée entre leurs enfants et petits-enfants, société dont ils étaient auparavant peut-être associés, qualité qu’ils considèrent toujours acquise malgré une transmission des titres.
[1] Cass. 1re civ., 25 mars 2020 n° 18-22.964